Heureux les heureux
15 janvier 2013 at 19 h 23 mi Laisser un commentaire
Yasmina Reza
L’éditeur : « Dans le 95, qui va de la place Clichy à la porte de Vanves, je me suis souvenue de ce qui m’avait enchaînée à Igor Lorrain. Non pas l’amour, ou n’importe lequel des noms qu’on donne au sentiment, mais la sauvagerie. Il s’est penché et il a dit, tu me reconnais ?J’ai dit, oui et non. Il a souri. Je me suis souvenue aussi qu’autrefois je n’arrivais jamais à lui répondre avec netteté. – Tu t’appelles toujours Hélène Barnèche ? – Oui. – Tu es toujours mariée avec Raoul Barnèche ? – Oui. J’aurais voulu faire une phrase plus longue, mais je n’étais pas capable de le tutoyer. Il avait des cheveux longs poivre et sel, mis en arrière d’une curieuse façon, et un cou empâté. Dans ses yeux, je retrouvais la graine de folie sombre qui m’avait aspirée. Je me suis passée en revue mentalement. Ma coiffure, ma robe et mon gilet, mes mains. Il s’est penché encore pour dire, tu es heureuse ? »
A ne pas lire si :
Vous êtes en couple depuis peu ou …. très longtemps
Vous désirez vous mettre en couple
Vous n’aimez pas faire les courses au Supermarché en couple
Vous aimez rire des autres..et pas trop de vous-même
Vous pensez que la fidélité n’est pas de ce monde
Vous êtes un homme et vous voulez savoir ce qui se passe dans la tête d’une femme
Vous êtes une femme et vous voulez savoir ce qui se passe dans la tête d’un homme
Vous avez croisé un(e) ex depuis pas longtemps et ça vous a fait quelque chose
etc…etc…
…Plein de bonnes raisons pour découvrir cette suite de monologues. Dans de courts chapitres, Virginie, Odile, Robert, Jean, Vincent.. « et les autres » (ils se connaissent presque tous ou se sont déjà croisés) racontent regrets, tourments, jalousies, lassitudes et révoltes. Les mêmes en boucle à différents instants de leur vie parlent d’amour encore et toujours. D’amitiés aussi. Du Claude Sautet mixé d’Agnès Jaoui !
Ces « Bobos » parisiens ont « tout pour être heureux »..femmes, enfants, maîtresses, amis…mais ils veulent, bien sûr, ce qu’ils n’ont pas. Seuls les malades ou les mourants semblent apaisés et sereins ! Comédie de la vie, mensonge, usure du couple..surtout « avoir l’air », donner le change…c’est caustique et parfois tellement vrai.
Pas de problème matériel (ils sont secrétaires d’Etat, avocats, banquier, médecin…)…donc du temps pour se poser des questions existentielles telles que : Faut-il acheter plutôt du morbier ou du gruyère quand il y a la queue au rayon des fromages? Faut-il (dans une rivière bretonne) jeter les cendres d’un père fraîchement incinéré dans le sens du courant ? Doit-on avouer à ses amis que son fils se prend pour Céline Dion ?
Des passages hilarants, tendres, méchants. Le rire naît souvent du tragique, le rend plus « léger »
Souvent le même ton désabusé c’est vrai et un même microcosme parisien, c’est vrai aussi…mais qu’importe, les sentiments évoqués ici sont universels. On lit avec délectation et aussi avec l’angoisse de se retrouver ou de débusquer, au détour d’une phrase, ce qu’on dissimule.Yasmina Reza est une femme de théâtre, ça se « voit » ; mots choisis au millimètre, phrases visuelles, sans fioriture, trait incisif, dialogues parfaits, scénario maitrisé.
Terriblement séduisant, mais je crains qu’il ne m’en reste pas grand chose…
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Entry filed under: roman. Tags: Rentrée Littéraire, roman.
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